En rupture avec le dessin façon Giraud,
celui de Moebius, dans le monde d'Edena, comme celui de l'Incal, entre dans
une évolution qui porte vers des dessins très simples, détendus,
avec peu de virtuosité technique, peu de surcharge d'information. Ainsi,
une maturation de style ne se fait pas forcèment vers le complexe.
Ici, il n'y a plus de dessin automatique, Moebius utilise un trait calculé,
ne laissant pas de place à l'erreur quant à ses procédés
qui visent à conduire le lecteur par des effets en demi-teinte, "le
geste prévaut sur l'exécutant" dans ce projet de dessin
objectif. Moebius provoque dans la tête du lecteur de nouvelles sensations
subtiles et fines, une accession à la plénitude des sens par
la force des lignes pures. Seules les sensations engendrées par ces
espaces de lignes épurées passent au travers du filtre pragmatique
construit par le monde moderne synthétique qui nous entoure. Dans l'histoire,
Stel et Atan passent d'un état où ils sont persuadés
qu'une bonne santé s'obtient avec une bonne transplantation à
celui complètement opposé d'une alimentation naturelle qui leur
révèlera leur sexualité, avec tout ce que cela comporte
comme blocages, peurs et résistances.
Ceci dit, pour laisser tomber le coté "messianique", psychologique
de l'ouvrage de Moebius, je pense que nous nous trouvons face à la
maturation de ce qui s'exprimait déjà dans Arzach et dont la
synthèse se retrouve dans des ouvrages tels que Starwatcher, Fusion,
Chroniques métalliques, Chaos, Venise celeste et bien d'autres. Un
dessin talentueux et révolutionnaire qui s'adresse directement à
notre première forme d'être humain enfouie sous les couches récalcitrantes
accumulées tout au long d'une évolution toujours plus synthétique.
Apparemment le maître nous enseigne qu'elle ne reste pas impénétrable
pour autant, il nous aide à toucher cet endroit de notre cerveau où
les sensations naissent encore libres.
E.ANTON