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AVANT PROPOS Édition Les Humanoïdes Associés 1995

Adolescent, j'étais fasciné par les personnages d'explorateurs, je lisais "Ramenez-les vivants", une série américaine plutôt bien dessinée, j'en aimais l'atmosphère tendue, presque paranoïaque. Alors, bien évidemment, ma première création sérieuse fut une histoire d'explorateur qui se déroulait en Afrique.

J'avais seize ans, je suivais les cours de l'école des arts appliqués. Le soir, chez moi, je dessinais sur un cahier, case après case, page après page, sans crayonné, comme ça venait, sans scénario, et l'aventure avançait, avançait... Un jour, je me suis rendu compte que j'avais réalisé plus de quarante pages... Tout ça ne devait pas être bien fameux, pourtant lorsque j'ai montré ce cahier à l'école, le succès fut foudroyant. Tout le monde voulait le lire, j'étais très fier. Le cahier est passé de mains en mains. Quand j'ai voulu le récupérer, personne ne savait plus qui l'avait prêté à qui. Il avait disparu, je ne l'ai jamais retrouvé. J'ai piqué une crise, et puis j'ai oublié. Mais aujourd'hui, il me semble que ces pages contenaient la véritable origine du Major Grubert. En fait, il naquit "réellement" beaucoup plus tard, dans les pages de "Pilote", mais ses prestations y furent éphémères et accessoires. Il réapparut ensuite lorsque Vania Beauvais, qui s'occupait du secteur bande dessinée à "France Soir", me proposa de participer à une rubrique estivale sur le thème des Français en vacance.

Elle souhaitait quelque chose dont l'humour fut à la fois délicieux et populaire. Avec "La chasse au Français en vacance", je mis naturellement à coté de la plaque... quelques amateurs furent ravis, mais dans l'ensemble, les lecteurs de "France Soir" eurent bien de la peine à digérer le morceau, certains furent même furieux. A dire vrai, c'était une erreur de ma part, j'aurai pu me montrer plus soucieux des goûts et de l'attente de ce public. Mais à dire encore plus vrai, je m'étais bien amusé à dessiner ces pages.

A l'époque, je n'avais pas d'idée très arrêtée quant au caractère du Major, j'ignorais ce qu'il allait devenir. Je l'utilisais essentiellement sur le plan de la farce et de la satyre. Bien sûr, il a par la suite gardé ce versant comique mais, dans le cadre d'une narration développée, insensiblement la comédie rejoint le drame, voire le tragique. C'est ce qui devait se produire dans "Le Garage Hermétique". J'ai un goût pour la farce mais aussi pour le mélodrame prophétique, cosmique. Chacun a ses perversités. Il ne faut pas les étouffer mais travailler pour les rendre opératoires...

Dans "La chasse au Français en vacance", l'humour était absurde, à la limite du burlesque. La notion de Français moyen imposait un traitement satyrique mais aussi d'étroites limites dans le temps et dans l'espace du récit. Avec "Major Fatal", la science fiction élargit le cadre, il devint intemporel. Alors tout en sauvegardant mon goût pour le burlesque et l'humour qui dérape, mais débarrassé des pesanteurs de la satyre sociale, je pus m'envoler directement vers les univers du rêve et de la fantaisie. Et de fait, j'ai éprouvé énormément de plaisir à dessiner "Major Fatal", d'une seule traite, improvisant au fur et à mesure, entre le risque et l'amusement, dans une sorte de vagabondage, de batifolage graphique. C'est en somme le prototype du "Garage Hermétique" et une des rares bandes à m'avoir procuré un tel sentiment de liberté.

La genèse du "Garage Hermétique" n'est pas très orthodoxe. A l'époque, je me trouvais dans des états un peu exaltés... Je rentrais à toute vitesse à la maison pour dessiner une page, parfois deux, tard dans la nuit, jusqu'à tomber d'épuisement. Au matin je pouvais me retrouver devant des planches absurdes ou inintéressantes, mais parfois il m'arrivait d'en compléter certaines pour en faire des récits de quatre ou six pages. "Le Garage" a commencé comme ça. Dans mon esprit, les deux premières pages n'étaient qu'une plaisanterie graphique, une blague, une mystification qui ne pouvait, ne devait mener à rien, qui n'avait aucune suite. Toutefois, j'avais essayé de traduire une part de ce que j'étais, de ce que je vivais ou avais vécu. En général, lorsque je dessine une situation, je me projette dedans. C'est comme un souvenir fugace que l'on rattrape, une vision évanescente, un rêve que l'on tente de faire renaître. Une fois achevées, j'ai rangé ces deux planches dans un tiroir et je les ai oubliées.

Elles auraient pu y dormir à jamais si Jean-Pierre Dionnet, alors rédacteur en chef de "Métal Hurlant", n'avait pas eu l'habitude de fouiller dans mes tiroirs lorsqu'il venait chez moi. Il les découvrit, les emporta, et me demanda d'y ajouter un petit complément qui pût faire office de suite et de fin à cette histoire. J'ai dit oui. Il publia les deux pages et, peu avant la sortie du numéro où le complément devait paraître, m'appela pour s'inquiéter de la livraison. Naturellement je n'avais rien fait. Ce fut la panique. J'ai du travailler comme un forcené pendant deux jours, mais n'ayant pas conservé de photocopies des deux premières pages, j'en ai dessiné deux autres dont le cohérence n'était pas garantie. Toute l'histoire a été plus ou moins réalisée dans cette espèce de panique décousue...

Au troisième épisode, j'ai essayé de raccorder, le Major Grubert est arrivé en renfort, mais j'ai continué à m'imposer comme défi de repousser systématiquement au mois suivant la résolution des problèmes posés par chaque nouveau chapitre. Cette insécurité permanente engendrait un désir de cohérence, je tentais constamment de recréer une continuité à partir des éléments existants et y parvenir était pour moi une source de plaisir, un délice absolu. Puis je cassais tout afin de retomber dans l'insécurité et d'être à nouveau saisi par ce désir de cohérence...

A la fin, j'ai rassemblé tous les fils dans les quinze dernières pages que j'ai réalisées dans la continuité. L'histoire s'achève cependant sur l'irruption de Grubert dans notre réalité ; ce qui élargit potentiellement le champ vers des incohérences infinies.

J'aime la science-fiction parce qu'elle ouvre en grand les portes de l'espace et du temps et surtout parce qu'elle permet d'aborder de façon très directe mes préoccupations essentielles. Dans " Le Garage Hermétique", j'ai voulu rendre un hommage personnel au super-héros des comic-books. A leur sujet, je suis partagé entre deux sentiments. D'une part, évidemment, je trouve cela très infantile, mais en contrepartie je crois qu'ils expriment une quête de nos désirs les plus profonds, de nos rêves de justice, d'envol, de beauté, et là, ce n'est plus de l'infantilisme, c'est le champ merveilleux de l'enfance. Pour la scène où le Major s'envole avec Cornélius, je me suis inspiré de dessins parus dans "Iron Man". Il y a quantité d'autres influences ou références, je laisse au lecteur le soin et le plaisir de les découvrir. Un mot tout de même sur le Nagual dont parle Cornélius. C'est un concept métaphysique de la tradition indienne d'amérique centrale qui désigne l'incréé, la part du divin qui demeure en dehors de la sphère de compréhension de l'homme.

Le "Garage Hermétique" n'est pas une œuvre fermée. Elle recèle des ouvertures et des correspondances vers d'autres systèmes. Les univers en expansion permettent de tout imaginer, par exemple, que toutes les histoires que j'ai dessinées appartiennent au monde de Grubert, ou à un monde régi par les mêmes règles, l'univers de Moebius.

MOEBIUS

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Le GARAGE HERMETIQUE
Avant-propos 1979
Avant-propos 1995
LE GARAGE
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